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PROLOGUE.

de bonne doctrine qui m’était parti devant les yeux, il me vint cette idée d’allumer en mon particulier les menues fusées que j’avais en poche. Et comme, le lendemain au matin, j’étais monté dans ma bibliothèque, je m’assis dans mon grand fauteuil et je pris mon plus beau papier.

Ô phénomène bizarre des opérations du cerveau ! Tout s’était évaporé ! Mes idées, si nettes pendant la nuit, m’apparurent excessivement confuses. Le peu que j’en pouvais rassembler était d’une banalité révoltante. Combien de temps mordillai-je les barbes de ma plume ? Je ne saurais le dire. Stupéfait, je considérais, sans penser, les volumes alignés sous leurs livrées multicolores ; et, m’écriant avec le bon Richard de Bury, chancelier d’Angleterre : « O libri, soli libérales et liberi ! Ô livres, vous qui seuls possédez la libéralité comme la liberté ! Qui omni petenti tribuitis ! qui accordez tout au premier requérant ! » j’allai leur demandant s’ils n’avaient pas vu par hasard la clef de mon entendement. Je m’approchai d’eux, j’ouvris les vitres, j’aspirai la forte odeur des basanes, chère aux bibliophiles, je maniai avec amour les vieux parchemins contemporains des vieux types. Or j’avisai un volume dont le vélin luisant et jauni par un usage de trois siècles avait cet air vénérable des