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LE DEVOIR DU FILS


— Vous avez toujours eu des goûts belliqueux, tante Isabelle ! Comme vous vous passionniez pour les prouesses des héros de Walter Scott ou de Corneille !

— Tu lisais avec un tel entraînement ! Est-ce loin, ces jours-là !... Déjà douze ans! Que de choses ont changé !... Ils se regardèrent, frémissants tous deux, et, dans ce court silence, passèrent les souvenirs des épreuves anciennes et récentes, les séparations, les morts et ce dernier déboire, plus poignant peut-être qu'une mort...

— Mon pauvre enfant ! murmura la vieille femme, d’une voix mouillée. Ces simples mots remuèrent tout ce que le jeune homme refoulait de douleurs sourdes dans son âme. Il baissa la tête et serra les lèvres.

— Pauvre Maurice ! soupira très bas la tante Isabelle.

Perdue dans ses pensées, le regard dans le vague, elle branlait la tête, marmonnant un chu chotement indistinct, entrecoupé de soupirs. Puis son œil noir, se relevant sur Gilbert, s’adoucit d'un rayonnement de tendresse ineffable.

— Et te voilà revenu dans le pays natal de ton père, près de la sœur de ton aïeule ? Ton cœur est fidèle, mon enfant!

Sa main amaigrie s’éleva comme pour bénir son jeune parent, dans un geste si naturellement noble que Daunoy, impressionné, appuya ses lèvres sur les longs doigts secs, dépassant la mitaine de tricot noir.

— Je sais... tout ce que vous fûtes pour lui... Et je suis venu parce que vous me comprendrez mieux que personne.

Une caresse maternelle effleura son front, où perlait une sueur d'angoisse.

— Oui, je te comprendrai... puisque tu es le même qu’autrefois... Ce Paris ne t’a donc pas gâté, toi ?

De nouveau, le regard de la vieille fille s’échappa dans le vide. Mais, tout de suite, s'arrachant à cette hantise du passé qui la ressaisissait à chaque