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LES PROPOS D’ALAIN

CLXIII

Tous ces discours parlementaires, tous ces rapports que l’on distribue, tous ces articles qu’on lit, tous ces ouvrages que l’on achète si cher, tout cela est trop long. D’où vient cette mauvaise rhétorique ? Où nos écoliers les plus brillants ont-ils appris à dire en trois pages ce qui peut tenir en une ? Je ne sais. Nos auteurs classiques ne sont pas bavards. Pascal, Molière, La Rochefoucaud, La Bruyère, Voltaire, Rousseau, disent beaucoup en peu de mots. Et même nos poètes tragiques, ils cherchent naturellement à enfermer leur pensée dans un vers ; tous les beaux vers, tous ceux que l’on retient et que l’on cite, sont remarquables par leur densité, si l’on peut dire ; ils offrent beaucoup de sens sous un petit volume. Même Hugo, qui est si long parfois, jusqu’à ennuyer, est court plus que personne dans ses plus beaux traits. Bref, le modèle qui saisit et frappe l’écolier, c’est toujours quelque maxime serrée et riche de sens. Comment ceux qui ont le plus travaillé sur ces modèles viennent-ils tous, ou presque tous, dans la suite, à développer, à étendre, à délayer, à répéter, à ressasser ? Car tout discours est trop long, tout article est trop long, tout livre est trop long.

Habitude scolaire, sans doute. On n’exerce point communément les élèves à composer une maxime en deux lignes, en deux vers, en un vers, comme on devrait. Au contraire ; on les exerce à développer ; car il faut que leur travail ait une certaine longueur. On rirait d’un professeur qui donnerait le prix à une composition de quatre lignes. Aussi les modèles sont oubliés ; on surcharge au lieu d’alléger ; d’une phrase, on en fait trois ; on dispose les mots comme une armée, de façon à occuper le plus de terrain possible. C’est justement le contraire qu’il faudrait chercher.

Il faut compter aussi avec la paresse du lecteur, qui lit au galop, et qui compte bien, s’il comprend une phrase sur dix à la volée, comprendre tout. Mais les deux maux se tiennent ; l’auteur bavard fait le lecteur paresseux. En revanche celui qui parle bref réveille l’attention. Au temps où l’opposition était radicale, il s’était formé une rhétorique d’attaque qui tuait un ministère en trois phrases. Mais dès qu’ils