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LES PROPOS D’ALAIN

nant l’air de l’apaiser, était bien dans la tradition des Politiques. Que d’orateurs, sans doute, en Bulgarie ou en Serbie, portent ainsi des meurtres sur la conscience, et sans en avoir le plus petit soupçon ! Plaire et être acclamé, n’est-ce pas le beau, le noble, le raisonnable, pour un rhéteur ? Et l’Académie Française n’a-t-elle pas élu, le même jour, par acclamation, un général commandant devant l’ennemi, et ce rhéteur justement dont je parlais ?

CLI

Le courage nourrit les guerres, mais c’est la peur qui les fait naître. Celui qui se fait redoutable n’attaque point tant qu’il ne veut point ; celui qui a peur, s’il ne peut s’enfuir, attaque avant de l’avoir voulu ; son attaque est une espèce de fuite vers l’ennemi. De même en politique. L’amour de la paix est gros de dangers, tant qu’il n’est que la peur de la guerre. Je pense malgré moi aux deux poltrons qui se battirent, une nuit, sur le pont d’Asnières, simplement parce que chacun d’eux avait peur de l’autre.

Quand la pratique des armes sera le plus noble des jeux, quand nous serons en familiarité avec l’idée de la guerre, alors nous saurons être courageux sans cesser d’être raisonnables, et l’on entendra de nobles paroles. Alors nos députés, au lieu de se laisser emporter par un frisson dans lequel il y a de tout, et de la peur aussi, feront sur la paix et la guerre des discours vraiment Spartiates. Alors, peut-être, les Chambres adopteront à mains levées, sans cris, sans tumulte, dans un silence imposant, quelque motion dans le genre de celle-ci.

« La Chambre française à tous les peuples de la terre, salut et fraternité. Au nom du Peuple français, nous déclarons que les citoyens armés ne sont armés que pour la défense de l’ordre public, des personnes et des biens. Nous repoussons cette idée que la violence collective puisse jamais être considérée comme un moyen de décider du droit. Nous renonçons donc à faire la guerre. Et si jamais d’imprudents aventuriers osaient chez nous dévaster les biens et attaquer les personnes, nous faisons savoir à tous que, lorsqu’ils seront châtiés, ils le seront comme bandits et assassins, non comme étrangers. Si donc