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LES PROPOS D’ALAIN

deux ans. Voyons, après trente-cinq ans de République, il faut bien avouer que notre armée n’est que contre la tyrannie, et pour la défense de nos droits, de nos lois et de notre franc-parler. Et puisque vous croyez qu’il y a des circonstances où la France doit parler haut et donner des conseils à ceux qui n’en demandent pas, commencez par aimer la caserne, le drapeau, la discipline. Pour montrer les dents, il faut avoir des dents. »

CXLIV

Si les Marocains étaient justes entre eux, bien disciplinés, formés au travail et à l’industrie, capables de payer des contributions et de contrôler les dépenses publiques, ils seraient au moins aussi forts que nous. Mais aussi nos armements contre eux seraient sans objet. Nous irions faire du commerce chez eux, acheter, vendre, fabriquer selon notre intérêt ; nous serions chez eux comme ils sont chez nous lorsqu’il leur plaît d’y venir. Sans les courses des pirates dans la Méditerranée, nous n’avions point de raison de prendre Alger. Notre conquête du Maroc, car il semble bien que nous y soyons amenés maintenant, prouvera que la pacification de ces tribus redoutables n’était pas possible par d’autres moyens.

Ce n’est point guerre, c’est police. Nul n’admettrait chez nous que les vaincus soient destinés à l’esclavage ; à la liberté au contraire, et à l’égalité, autant qu’ils le voudront. Voilà notre idée directrice. Il y aura de l’arbitraire et un luxe de violence dans l’action, de même qu’on en peut voir chez nous quand il s’agit d’arrêter de dangereux bandits ; mais enfin la mission des chefs est bien claire, et ils auront à rendre des comptes. Au reste, si les passions sauvages s’éveillaient chez nos soldats si la brutalité et la férocité s’insurgeaient contre la raison dirigeante, où seraient nos avantages, contre des combattants si bien aguerris, et chez eux, dans leurs propres montagnes ? Notre force s’établira au contraire par tir bien réglé et par mouvements bien coordonnés et mesurés. C’est par cette raison directrice qu’une armée est une belle chose, et que le courage militaire est une vertu.

Cette condition de la force est bien remarquable. C’est par là qu’une guerre se distingue d’un coup de force, et que la victoire donne des droits. Le paradoxe de la civilisation, c’est que le plus juste est fina-