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LES PROPOS D’ALAIN

Non. C’est l’histoire qui est en cause. L’histoire traîne après elle des discussions sans fin. Elle se donne comme une science et n’est qu’une pauvre rhétorique, bonne à tout faire pour tous les partis. La meilleure histoire n’est jamais qu’un pamphlet. On se donne l’air de fonder les idées sur des faits, et on fait justement le contraire ; on choisit, on groupe, on éclaire les faits d’après les idées que l’on a. Ils disent que l’histoire soutient l’éloquence ; mais c’est plutôt l’éloquence qui soutient l’histoire. Jeanne d’Arc est ce que l’on veut qu’elle soit.

Voilà pourquoi l’enseignement de l’histoire est toujours un enseignement trompeur, et souvent un enseignement menteur. Il l’est deux fois quand on n’expose pas les documents en détail, et quand les élèves n’en font pas eux-mêmes la critique. Les raisonnements qu’on y fait sont pour empoisonner l’esprit. Vous dites que les rois ont fait l’Unité française ; vous n’en savez rien. Vous dites qu’avant la Révolution le peuple n’avait point de droits ; vous n’en savez rien. En tout temps, les peuples vivent vraisemblablement comme ils vivent maintenant, mangent, boivent et font l’amour. Ce torrent de passions vraies coule depuis des siècles de siècles et tombe dans un abîme d’oubli. La vraie histoire est indéchiffrable. Nos leçons d’histoire sont des pamphlets. Tout historien est Aliboron.

La vraie histoire, savez-vous où l’on peut la lire ? Dans la vie présente, qui exprime tout ce qui en reste. La vraie histoire vit en nous et autour de nous ; disons mieux, elle se dessine dans l’avenir. L’avenir, c’est le passé qui s’exprime en raisons. Les ombres des morts nous conduisent vers la lumière, par-dessus les eaux du Styx. Nous suivons Newton, Archimède et Socrate ; et la justice de saint Louis nous attend sous le chêne.

LXXXV

Ce ne sont que des querelles byzantines, entre les évêques et les auteurs de manuels scolaires. C’est toujours l’enseignement historique qui est en question ; et j’avoue que rien ne me pousse à prendre parti. Que l’Église ait eu un rôle utile au temps de Clovis, je n’en sais rien, et cela ne m’intéresse pas du tout. Que Louis XIV ait été un imbécile, et que la révocation de l’édit de Nantes ait été une grande faute poli-