Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et de vigilance, le jugement enfin se retirent de ceux qui ordonnent. De là des erreurs incroyables, et qui même accablent l’esprit, tant qu’on ne remonte pas aux causes.

Une conséquence de cette Somnolence Essentielle, c’est que l’activité politique seule fait marcher la guerre, qui par elle-même tomberait à un massacre diffus, sans progrès et sans fin, comme on a vu en de longues périodes. Car le pouvoir suffit au chef ; il en jouit à chaque minute ; les signes l’occupent. Cet ordre rétabli, cette Importance restaurée sont aussitôt des fins, et la véritable fin est oubliée. J’ai vu de jeunes officiers, et qui ne pensaient pas assez aux Pouvoirs, chercher de bonne foi si une batterie ennemie était ici ou là, au lieu d’examiner si c’était un commandant ou un colonel qui disait qu’elle était ici ou là. Mais ces étourneaux n’avancent point. Aussi voit-on que la guerre est aimée pour elle-même par l’Ambitieux, qu’il ne songe jamais réellement à la terminer, et qu’enfin les moyens d’industrie et nouveaux qui ne tendent point à fortifier les Pouvoirs, mais à vaincre, inspirent à tous les chefs qui sont vraiment chefs une défiance et même une aversion qu’il faut comprendre. Sans quoi le citoyen reste accablé par le spectacle de la chose meurtrière, stupide, inhumaine ; dont inévitablement il accuse quelque Fatalité supérieure.