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encore dans la profonde tristesse qu’il veut me cacher. Oui, abandonné de tous, je le vois, sous des cieux vides, en face d’hommes qui le valent et qui sont aussi nus que lui ; à demi enfermé dans sa tombe déjà ; trahi même par les siens, qui se consolent trop vite ; compté pour rien. (Qu’est-ce que la perte d’un homme ? Les journaux n’en parleront seulement pas.) Ainsi seul, en présence d’une chose qu’on ne peut braver, et qu’il faut braver. Réfugié en lui-même ; tout pauvre et trouvant en lui-même toute la richesse intacte. Tout désespéré, et trouvant en lui-même un espoir aussi vivace que sa vie. Tout cela inconnu, et déjà effacé parmi les hommes.

Jetant donc toutes ces armes d’éloquence qu’on lui fait tenir de l’arrière, et tout le clinquant académique, et tout le probable, respectable et bien construit catholicisme. Tout nu, oui. Et il tiendra jusqu’à la mort. Je le sais et je le savais ; seul peut-être je l’ai prévu. Et puis vous voulez que je me réjouisse avec vous, poètes, hommes d’état, hommes d’académie, parce qu’il tombe noblement ? Non. J’ai gardé un jugement inflexible qui veut distinguer deux choses, le héros qui tombe, et les faibles qui applaudissent. Et toute cette déclamation me fait horreur. Non je n’aimerai pas ces jeux de gladiateurs.