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Mais il faut dire comment ils agissent sur des citoyens qui n’ont point d’opinion commune avec eux, ni d’intérêt commun. Ils agissent en appuyant sur un point sensible, en fouettant ce sentiment de l’honneur, qui prend aussitôt le galop. La course à la mort de tous les jeunes, et certainement sans hypocrisie, est le fait de guerre le plus important ; c’est là qu’il faut ramener l’attention. Ils ne cèdent point à la nécessité, ils n’y pensent même point ; ils courent au devant. C’est l’honneur qui parle ; et il n’y a point de passions plus piquantes, plus torturantes que celles qui tiennent à l’honneur. Peut-être, chez le mâle de l’espèce, ont-elles même le pas sur les passions de l’amour, qui peuvent conduire à la mort volontaire aussi.

Imaginez un fils chargé de défendre, comme dans le Cid, l’honneur de la famille ; il court impétueusement au danger. L’occasion et les circonstances varient beaucoup ; mais la tragédie de l’honneur outragé tient toujours en ce monologue : « Je passe pour un lâche ; c’est ce que je ne puis supporter » ; ce qui amène aussitôt cette suite : « Je suis lâche si je ne choisis pas le parti le plus dangereux. Vainement je me paie de raisons. En réalité je cède à la peur, je le sais. Quand tous l’ignoreraient, je le sais. » Peu d’hommes peuvent dormir avec cette épine dans leur lit.