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CHAPITRE XIII

LA TÊTE DE MÉDUSE

J’ai dit souvent que les hommes ne manquaient point de courage, contre le feu ou contre l’eau, et que par suite, bien loin de mettre en doute leur valeur militaire, il fallait s’attendre à les voir agir dans la guerre comme dans toute autre tempête, tout à l’action, résolus, dévoués, rois sur la peur. En ce rapprochement il y a du vrai ; celui qui porte un ordre, qui ravitaille ou qui répare un fil téléphonique, s’arrange de la catastrophe humaine comme de n’importe quelle autre, prodigieux par l’attention calme, l’audace, et la prudence. La guerre, en ses préparations et attentes, suppose bien ces vertus-là. Mais ce visage humain de la Guerre, dès qu’il s’anime, produit une autre épouvante et veut une autre résistance encore. Car il n’est point d’homme assez fou pour tenir contre le feu ou contre l’eau, avec l’idée de décourager ces choses par une invincible résolution. En ces luttes, qui ne sont point guerre, l’homme commence par se garder, et la prudence ne fait point que le feu aille à contre vent, ni que l’eau s’élève au-dessus du niveau déterminé par les forces cosmiques. Pareillement l’eau et le feu ne poursuivent point l’homme, sinon par métaphore.

À la guerre, tout au contraire, il est clair, et cela se voit aux moindres choses, que la force ennemie poursuit l’homme, et guette les moindres signes de la terreur ou de la fatigue, et que les forces de l’agresseur en sont redoublées. Ici les croyances jouent, et tout est miracle ; ce n’est point l’ordre des choses, c’est l’ordre humain, avec ses soudains revirements. Et, quand les effets matériels rendent la résistance réellement impossible, c’est alors que la guerre commence, parce que ces effets matériels dépendent de volontés humaines que l’on peut toujours étonner, inquiéter, détourner, fatiguer. Disons même que n’importe quel genre de résistance au-delà de ce qui semble possible contribue à affaiblir l’adversaire. C’est pourquoi, selon le véritable art militaire,