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cette guerre mécanique qui, outre qu’elle utilise l’enthousiasme, l’esprit de corps, la colère et la vertu, fait jouer toutefois la crainte par provision, et pousse par là un peu plus loin la pointe de son armée. Cette méthode retrouvée, toute armée devait l’adopter. Il n’y a aucun autre moyen de surmonter le plus haut degré de la terreur.

Non sans discours idylliques. Car il est pénible de se dire : « Comment savoir si la bonne volonté suffirait à ces actions sublimes, quand toutes les précautions sont prises au cas où elle manquerait ? » Cependant la tradition reste, assez soutenue par un esprit d’arrogance et de paresse ; ainsi tout est prêt pour le dernier effort ; et dès la première débandade, excusable mais funeste, chacun redescend par nécessité au niveau de la force mécanique. De là cette certitude des conseils de guerre, qui ressemble à la force des choses. Et il ne faut point demander ce que devient la conscience humaine, en ces sombres sacrifices ; car elle n’en est point touchée ; elle ne peut les saisir. Il y a une horreur de ce qu’on ne saisit point, mais inexprimable et presque physique. Aussi ne faut-il point tant de volonté pour être impitoyable ; au contraire il n’en faut point du tout ; mais seulement être poussé et pousser. Tel est ce métier terrible, et tellement au-dessous du jugement moral que les plus résolus n’en parlent qu’en badinant. Ce qui détourne de mépriser la gloire militaire, mais peut-être aussi de l’aimer. « Ne parlons pas de cela », dit le héros.