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CHAPITRE VIII

DU COMMANDEMENT

« Trop de paroles. Il s’agit de trouver un responsable, et de le punir. » Ainsi parlait un capitaine qui, par sa fonction, gouvernait une petite ville d’aviateurs et d’ouvriers. Il n’était pas aimé et je crois qu’il ne s’en souciait guère.

Cette méthode a de quoi étonner ; car l’amitié, la confiance et l’attention au beau travail peuvent beaucoup sur les hommes. Je suis, pour ma part, de ceux qui croient qu’une société d’hommes peut vivre et prospérer par le bon sens de chacun, à quelques exceptions près ; aussi voit-on que la crainte et la menace ne sont pour rien dans cet ordre plaisant des échanges et du crédit ; tout métier est honnête par soi. Il y a donc quelque chose de scandaleux en ce pouvoir militaire qui toujours menace, et toujours fait sentir la contrainte brutale et la mort à celui qui résisterait ouvertement. Les utopies que l’on peut concevoir à ce sujet, d’une armée agissant par la fraternité seule et par la compétence reconnue des chefs, viennent de ce que la guerre est toujours oubliée. La guerre dépasse toujours les prévisions et le possible. Au moment où les forces humaines sont à bout, il faut marcher encore ; au moment où la position n’est plus tenable, il faut tenir encore. L’art militaire s’exerce au delà de ce qu’un homme peut vouloir. Dans un homme écrasé par des forces inexorables, il y a encore de puissantes convulsions après le dernier éclair de volonté. La guerre s’achève par de telles convulsions, liées, coordonnées, armées ; ce dernier sursaut de l’animal collectif donne la victoire. Jusque-là, la guerre est un jeu brillant, et non sans risques. Mais, comme on sait, le plus brillant courage s’accommode avec la fuite ou la capitulation, dès que la partie est jugée perdue. Or c’est ici que l’art militaire produit ses derniers effets, à la stupeur du guerrier libre, qui dès lors est régulièrement battu. Le fameux Frédéric de Prusse est l’inventeur, dans les temps modernes, de