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CHAPITRE VII

DE L’IRRÉSOLUTION

Les mouvements de l’homme vont par explosion, toujours au delà des causes extérieures. Il est fou d’expliquer les guerres par ces difficultés de chancellerie, qui ne manquent jamais. Il faut considérer cet animal si dangereux pour lui-même, et qui choisit communément un malheur certain plutôt que d’avoir à le craindre longtemps. Mais il est remarquable comme ces mouvements humains échappent au moraliste, toujours dominé par l’idée puérile d’une petite machine à calculer. Les sentiments, cependant, décident de tout, et au premier rang l’impatience qui entre dans toutes nos affections, d’amour, de haine, d’espoir ou de crainte, sans en excepter une seule.

Voici une scène que j’ai vue une fois, et qui fut sans doute ordinaire, en cette guerre où, comme dans toutes, les opinions qu’on ne dit pas furent le moteur principal. Plusieurs officiers d’artillerie assemblés, parmi lesquels un qui est le plus jeune. On lit une lettre officielle qui demande des volontaires pour l’aviation. Tous les regards vont au jeune, qui s’offre comme s’il n’attendait que l’occasion. C’est choisir la mort. Souvent on a demandé ainsi des volontaires, et toujours des mains se lèvent, malgré la crainte, mais je dirais plutôt à cause de la crainte.

Descartes, moraliste trop peu lu, disait que l’irrésolution est le plus grand des maux humains. Toutes les souffrances des passions, d’apparence impalpable, viennent sans doute de là ; mais on n’y fait point attention. L’homme d’esprit est continuellement occupé à justifier ses propres actes selon les raisonnements des sots. Quand l’idée vient à l’esprit d’une décision à prendre, redoutable et redoutée, les raisons aussitôt répondent aux raisons, et l’imagination travaille dans le corps, en mouvements contrariés qui font un beau tumulte ; cet état d’effervescence enchaînée est proprement la souffrance morale. Un mal bien