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violence, et qui la veut organisée, pensée, adorée, voilà l’Inhumain.

De ceux qui n’ont d’esprit que pour gagner, je n’attends pas mieux. « Avant que le coq ait chanté trois fois », oui, tout de suite leur première pensée fut un moyen et une arme. Mais ces pensées nées en esclavage ne porteraient point une guerre. Je n’attends pas beaucoup plus de ces esprits qui furent libres en la première jeunesse, et ainsi apprirent à composer, mesurer, exprimer ; car ce talent, presque tout imité, fut aussitôt à vendre. Dangereux, ceux-là, par l’art de persuader, et par une allure de liberté ; mais l’envie les déshonorait. La guerre est triomphe pour ceux-là ; elle les justifie, croient-ils.

Mais enfin, j’en avais connu et honoré d’autres, parce qu’ils ne se pliaient point à toute puissance, ni même à toute preuve ; et parce qu’ils avaient un visage humanisé par la haute fonction du Juge. Savants, historiens, philosophes ou moralistes, leur fonction était de peser toutes choses et eux-mêmes. Mais sans doute ils ne se consolaient point de mépriser beaucoup de choses. Lorsqu’ensemble s’élevèrent toutes les passions divinisées, ils tombèrent d’un coup. Cette couronne de fausses raisons par lesquelles la fureur a pris forme de guerre fut faite par ces hommes-là. Par peur, par mauvaise honte ? Ou bien comme des prudes qui seraient lasses de leur métier ? Ici le crime se mesure à la puissance d’esprit. Qu’ils comprennent maintenant que la guerre n’est guerre que par l’Esprit qui consent. Celui qui, de toute sa pensée, n’a point nié cela, est ici le seul Assassin. Et comme il le sait, ce châtiment suffit.