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n’ait pas encore dénoncé les Fables de La Fontaine. Le Jardinier et son Seigneur, le Cheval et le Cerf, joints au redoutable axiome : « Notre ennemi, c’est notre maître », conduiraient à des méditations rafraîchissantes ; mais peut-être comptent-ils qu’on ne lit plus.

« Et quand on lirait, me dit l’ombre de Machiavel, quand on lirait, cela n’engendrera toujours qu’une moitié de ruse dans une moitié d’homme. Car ce n’est pas le tout de se savoir petit, et prudent et resserré ; il faut se savoir grand, et imprudent, et généreux ; et non pas par jugements successifs, mais tout cela ensemble, et par les causes ; à quoi une profonde culture peut conduire, mais qui est rare. L’homme naïf et près de terre ne se craint point lui-même. Et ce massacre héroïque qu’on lui prépare ne lui fait point peur, parce qu’il n’y croit pas. Et voilà qu’à crier selon l’occasion : Vive le roi ou Vive la ligue, il se trouve un beau jour galopant plus vite que ses chefs, et acteur principal de la haute politique. Ainsi la Fable ramène l’Épopée, comme l’Épopée la Fable. Entre deux est le sage, qui rassemble tous les fils, et se sait héros à l’occasion, et par quelles causes, ne s’estimant ni trop peu ni trop. Homère et Ésope ensemble. Mais les pouvoirs ne jouent pas sur le petit nombre. » Je conclus qu’il y a deux erreurs capitales, et également dangereuses, au sujet de la guerre ; l’une, c’est de la croire inévitable, et l’autre de la croire impossible. Et les passions de l’amour devraient nous instruire là-dessus. « On ne m’y prendra point » ; c’est celui-là qui est pris.