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CHAPITRE XLIX

MONSIEUR L’AUMÔNIER

Parlerai-je des aumôniers à trois galons ? Il le faut bien. Mais j’ai ici à me défendre contre des passions vives. Cette guerre a éveillé chez tous les Politiques de l’Église un espoir immense. C’était le règne de la terreur et de la mort. N’oublions pas les petites causes, qui ont contribué aussi à jeter les curés et les moines dans une politique belliqueuse. Opposition au gouvernement laïcisateur, et notamment aux radicaux et aux socialistes. Flatterie à l’aristocratie militaire, dont le prêtre est chez nous le précepteur ordinaire. Espoir aussi d’un grand changement après une grande catastrophe ; si là-dessus ils se sont trompés ou non, nous le verrons bien. Toujours est-il que l’aumônier à trois galons, coiffé de son ridicule bonnet de police, s’est promené dans les rues du village, tirant son cheval par la bride, saluant paternellement, mais avec la rudesse militaire. Ces effets du théâtre m’ont semblé horribles. Et ici, contre ces insignes du pouvoir le plus brutal, portés avec arrogance par les représentants du pouvoir spirituel, je n’ai pu me priver d’être insolent. En revanche j’ai fait amitié avec un prêtre héroïque qui ne portait point de galons du tout. Mais tout cela n’est que comédie, bien ou mal jouée ; affaire de goût. Qu’y a-t-il au chevet d’un mourant ? Que s’y passe-t-il ? Je ne sais ; je ne veux pas inventer. Mais deviner plutôt le ressort caché de cette politique ecclésiastique, qui pousse à la guerre, et qui jouit de la guerre, contre l’esprit de l’Évangile.

Il y a un certain esprit religieux, qui n’est pas le meilleur, et qui s’accorde avec la guerre par le dessous, comme on peut voir chez un bon nombre d’officiers que je prends pour sincères. D’abord cette idée que l’homme n’est pas bon, et, en conséquence, que l’épreuve la plus dure est encore méritée. Aussi l’idée que, selon l’impénétrable justice de Dieu, l’innocent paie pour le coupable. Enfin cette idée aussi que