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CHAPITRE XLVII

DE L’INDIVIDU

On m’a demandé plus d’une fois si cette guerre ne changeait point mes idées ; et je répondais que ce genre d’objets qui traversaient l’air et qui coupaient aisément un homme en deux, ne semblaient point faits pour instruire personne. J’ai remarqué plus d’une fois comme les individus, à travers ces épreuves, gardaient leur allure et physionomie et même leurs opinions. La guerre finie, j’en ai retrouvé quelques-uns, désormais libres, avec le costume de leur métier, et toujours semblables à eux-mêmes ; j’ai reconnu les moindres détours de leurs récits, les inflexions de la voix, l’humeur, la prudence, la ruse propre à chacun. J’ai fait la même remarque pour des hommes mutilés ; et, même chez le plus mal traité d’entre eux, j’ai cru retrouver des manières de penser, d’approuver, de blâmer, de mépriser évidemment antérieures à la terrible épreuve, et seulement altérées en ceci que la nuance d’amertume y était un peu plus marquée. Ce qui m’a rendu sensible cette vue profonde de Comte, d’après l’illustre Broussais, que les plus profondes modifications compatibles avec la vie se réduisaient à des variations d’intensité, ou si l’on veut à des variations d’amplitude dans les oscillations caractéristiques. Un homme autrefois irritable reviendra de la guerre plus irritable ou moins, mais toujours selon sa structure et ses gestes familiers, sans aucune modification profonde de cette loi d’équilibre en mouvement qui définit l’individu,

L’intelligence, aussi, quoique moins stable en apparence, semble garder toujours son centre d’oscillation ; plus agitée sans doute, ou plus endormie, selon les cas, mais, bien loin de se modeler sur les faits nouveaux ; au contraire, les ramenant et conformant à sa propre loi. Je n’ai observé qu’une modification durable, chez un canonnier dont un excès de peur a fait un fou tranquille ; des oscillations trop désordonnées ont rompu le système ; il s’en est formé sans doute plusieurs