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loir point user de lunettes ; il se servait seulement de réglettes munies de petites fenêtres ; et le fait est que l’œil nu arrive par ces moyens à une remarquable précision dans l’évaluation des angles, qui est presque le tout de l’astronomie. Le soleil à combien de degrés au-dessus de l’horizon, etc.). Les derniers exemples d’inventions géométriques sont suffisants pour montrer la puissance de l’esprit, servi par l’œil. Nos sciences modernes sont trop armées et trop occupées à changer l’événement. Un traité de physiologie médicale vous instruira promptement là-dessus. On mesure la quantité de suc gastrique au moyen d’une fistule pratiquée dans l’estomac et faisant couler le suc dans un tube. Cependant on change les aliments, on fait agir des odeurs et l’on s’assure des changements qui se produisent aussitôt dans la perception gastrique. Cet exemple, célèbre par les recherches de Pawlow, fait bien voir que l’on n’observe pas alors l’estomac naturel ni l’animal naturel, mais un organisme déformé par le bistouri, et soumis à la violence chirurgicale. Un simple médecin est un meilleur observateur lorsque, attentif au malade couché, il l’observe d’abord tel qu’il est, sans se presser de le changer. Les grandes pensées de physiologie sont nées de ce regard attentif et de cette retenue de la main en quelque sorte. Ce que j’ai figuré par le traditionnel Thalès.

CHAPITRE III

L’ENTENDEMENT OBSERVATEUR

Tout le monde sait et dit que celui qui observe sans idée observe en vain. Mais communément on va chercher l’idée directrice trop loin de la chose, ou mieux à côté de la chose, comme un modèle mécanique. L’analyse de la perception nous a déjà préparés à déterminer la chose même par l’idée, l’idée étant armature, ou sque-