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Comte, qui inventa le nom, inventa aussi la chose, et attribue à Aristote les premières notions de sociologie positive. On trouvera dans les ouvrages de Comte tout ce qu’on peut savoir de l’histoire ainsi considérée, c’est-à-dire de l’art de gouverner. Les journaux donnent quelquefois l’idée de cette science continuée, car il faut bien que le citoyen se fie à certaines traditions et se méfie de certaines autres. La philosophie n’est pas plus une politique qu’elle n’est une agriculture ; mais le philosophe trouve occasion, dans tous ces cas, d’exercer sa puissance de douter et d’attendre. Solon est célèbre pour avoir dit à Crésus qui lui demandait : « Ne suis-je pas bien heureux ? » que l’on ne pouvait décider du bonheur d’un homme avant qu’il fût mort. Aussi Solon conquit-il une autorité incontestée sur les tyrans. Et Crésus, mis au bûcher par Cyrus, ne manqua pas de s’écrier : « Solon ! Solon ! Solon ! » Tels sont les vrais philosophes ; ils se tiennent en dehors de cette difficile navigation, toujours très assurés de la subordination de la politique à la morale ; on en voit des exemples. Toutefois, on comprendra qu’ici se termine la science expérimentale, dont, au reste, la méthode est aisée à connaître ; il s’agit de ne pas se laisser tromper par la coïncidence. Un ample traité de Sociologie est ici nécessaire, c’est-à-dire une immense histoire des hommes, des tyrannies, des guerres, des dynasties et choses de ce genre. Il y aura lieu d’en dire quelque chose dans la suite.

CHAPITRE II

DE L’OBSERVATION

Afin d’éviter de traiter de l’esprit d’observation trop en l’air, disons, en suivant cette idée si naturelle des trois principaux métiers, qu’il y a bien trois méthodes d’observer. La plus ancienne, je crois, et la plus com-