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par le rapport de cause à effet, que nous percevons la succession dans l’expérience. Ou bien il faudrait soutenir que nos souvenirs nous reviennent en chapelet, toujours dans le même ordre, comme une chose à nous, automatiquement conservée, ce qui n’est point. Dans le fait nos souvenirs s’offrent capricieusement, et leur ordre véritable doit être retrouvé sans cesse d’après des idées, vraies ou fausses, correspondant à une science plus ou moins avancée, mais toujours science.

L’automatisme, entendez la mémoire motrice, nous fournit bien des séries auxiliaires, utilisées à chaque instant ; mais il n’y en a qu’un petit nombre dont nous soyons sûrs ; telles sont la suite des nombres, les jours de la semaine, les mois, les lettres de l’alphabet, les couleurs du prisme, les notes de la gamme, la suite des tons, les principaux faits de l’histoire. Mais la peine que nous prenons pour fixer ces séries et les reproduire sans faute fait bien voir que nous manquons d’une mémoire naturelle et toute instinctive qui déroulerait les événements passés dans l’ordre où nous les avons perçus.

En somme on peut dire que la succession pour nous est déterminée par la succession vraie, et la succession vraie par l’idée de cause, qui n’est que l’idée théorique de la succession. Ces idées importantes ne peuvent être éclaircies dans ce chapitre ; elles devaient y être présentées.

NOTES

1o Il me vient à l’esprit qu’il ne faut pas ajourner la fameuse question des idées innées. C’est le moment de la comprendre, c’est-à-dire de connaître la réalité de l’entendement. Par exemple l’espace et le temps ne sont point des pensées arbitraires ; ce sont des pensées universelles comme la géométrie et l’arithmé-