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CHAPITRE XV

DE LA SUCCESSION

La théorie offre des cas où l’ordre vrai de succession se retrouve toujours par jugement, même si on le change dans le fait. L’exemple le plus simple de ces suites bien déterminées est fourni par les nombres entiers. Et il ne faut pas dire que des connaissances de ce genre ne servent pas à ranger et fixer des souvenirs ; car même des hommes peu instruits se servent des dates pour fixer l’ordre de leurs souvenirs.

Il faut aussi bien distinguer la succession et la connaissance que nous en avons. Il est d’expérience commune que l’un n’entraîne pas l’autre. Il est clair que nos souvenirs, même assez précis, ne nous reviennent pas automatiquement dans leur ordre. Si je reçois successivement trois dépêches n’ayant entre elles, par leur contenu, aucun rapport de temps, je ne saurai jamais dans quel ordre je les ai reçues. C’est pourquoi l’on adopte, pour ces cas-là, un numéro d’ordre, ou l’indication des heures ; ce qui fait voir que l’usage des séries numériques pour fixer l’ordre de succession est d’usage commun, chose qu’on ne remarque pas assez. Je serais assez porté à considérer la succession définie comme le type ou le modèle de toute succession. Et peut-être cette opinion prendra quelque évidence lorsque le rapport de la théorie à l’expérience aura été examiné. Toujours est-il que, dans le fait, les hommes discuteraient sans fin, entre eux et à l’intérieur d’eux-mêmes, sur l’ordre de leurs souvenirs, s’ils n’avaient pas les séries numériques du calendrier.

Il faut aussi distinguer la succession dans les choses