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qui ne serait qu’externe ne serait plus l’externe pour personne ; il y faut le rapport interne aussi, par lequel le près et le loin ne font qu’un univers indivisible. Au reste, ces choses sont exposées dans la Critique de la Raison Pure, et sans méprise autant que j’en puis juger ; mais il faut tout lire et de fort près ; j’en avertis l’apprenti philosophe.

CHAPITRE XIV

DES TRACES DANS LE CORPS

Je pense à cette cathédrale d’Amiens, qui est bien loin de moi ; il me semble que je la revois ; je la reconstruis sans chercher ailleurs qu’en moi-même. Il est clair que cette reconstitution d’un souvenir ne serait pas possible si je n’emportais quelque trace des choses que j’ai perçues. Et comme j’emporte partout avec moi ce corps vivant, toujours reconnaissable, et qui d’ailleurs ne supporterait pas des changements soudains, il est naturel de supposer que c’est quelque partie de mon corps qui garde de mes perceptions une espèce d’empreinte, comme celle que laisse la bague dans la cire. Cette métaphore suffisait aux anciens auteurs ; et un Platon, certainement, n’en était pas dupe, ayant appris à bien distinguer les états du corps et ses mouvements des perceptions ou pensées. Mais depuis, par une connaissance plus exacte de la structure du corps, la métaphore a voulu prendre figure de vérité. Et c’est un des points où le philosophe doit porter son attention. D’abord, s’il a bien saisi ce qui précède, il ne voudra