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et par conséquent nous dispose à en remarquer d’autres ; ainsi s’expliquent sans doute beaucoup de prétendues associations par contraste. Un voyageur me contait que lorsqu’il fermait ses yeux, fatigués par le sable algérien, il pensait à un paysage lunaire de Norvège.

Il faut enfin considérer le langage comme réglant par son cours automatique tout ce qui, dans notre pensée, est autre chose que perception ; et d’ailleurs cela est perception encore, car nous percevons notre langage. Or, souvent nous disons un mot pour un autre, et ces maladresses tiennent à deux causes principales ; ou bien nous glissons à quelque mot semblable à celui qui serait attendu, mais plus facile à prononcer, et c’est encore une espèce d’association par ressemblance ; ou bien les organes de la parole, fatigués d’une certaine flexion ou tension, tombent d’eux-mêmes dans quelque disposition qui les repose. De là plus d’une rupture étrange dans nos méditations.

Mais disons aussi que souvent la chaîne de nos pensées nous échappe, et que nous nous trouvons fort loin de notre première pensée sans pouvoir nous rappeler par quel chemin nous l’avons quittée. C’est l’oubli, presque toujours, qui fait que la suite de nos idées nous semble si capricieuse.

Quant aux associations par contiguïté, comme on dit, soit dans l’espace, soit dans le temps, ce sont des faits de mémoire rapide, qui ne s’expliquent eux aussi que par une étude du souvenir complet. Je ne puis penser à telle cathédrale sans penser à la marchande de fleurs qui est à côté ; fort bien, mais c’est de la même manière que je pense aussi aux vieilles maisons, à la ville, à la route qui y conduit. Et toutes ces revues topographiques enferment plus de pensée qu’on ne croit. Mais l’ordre de succession, surtout, est évidemment retrouvé par science, comme nous dirons. Assu-