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CHAPITRE XII

DE L’ASSOCIATION D’IDÉES

La suite de nos pensées est réglée communément sur les objets qui se présentent à nous. Mais comme on l’a vu, ces objets ne sont perçus qu’après nombre d’essais, d’esquisses et de suppositions ; cet homme là-bas, j’ai cru d’abord que c’était le facteur ; cette voiture, que c’était celle du boucher ; cette feuille au vent, que c’était un oiseau. Ainsi chacune de nos perceptions termine une recherche rapide, un échafaudage de perceptions fausses et mal déterminées, auxquelles le langage, qui ne s’arrête jamais, donne une espèce de précision. Donc, à propos de chaque objet, je pense naturellement à beaucoup d’autres qui lui ressemblent, en ce sens que leur forme explique passablement mes impressions. C’est là qu’il faut chercher la source de la plupart de ces évocations que les auteurs considèrent comme des associations par ressemblance. L’erreur est ici de croire que nos idées s’enchaînent dans notre esprit comme si, retirés dans une chambre bien fermée, nous comptions nos trésors. En réalité, penser c’est percevoir, toujours ; et même rêver, c’est encore percevoir, mais mal. Il importe de tenir ferme cette idée directrice si l’on veut redresser les méditations faciles, et souvent purement dialectiques, des auteurs sur ce sujet-ci.

Il arrive aussi que, par la fatigue des sens, nous percevons des images complémentaires des choses, comme le violet après le jaune. Les exemples de ce genre sont assez rares ; mais il est naturel de penser que toujours, et pour tous nos sens, une impression un peu vive nous rend en quelque façon insensibles à certaines actions,