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inventeurs de démons et de fausses preuves dès que nous nous abandonnons aux mouvements convulsifs. Au reste l’univers est assez riche pour fournir toujours quelque ombre d’objet à nos égarements. Et dans tout fait d’imagination on retrouvera toujours trois espèces de causes, le monde extérieur, l’état du corps, les mouvements. Toutefois il n’est pas mauvais de distinguer trois espèces d’imagination. D’abord l’imagination réglée, qui ne se trompe que par trop d’audace, mais toujours selon une méthode et sous le contrôle de l’expérience ; telles sont les réflexions d’un policier sur des empreintes ou sur un peu de poussière ; telle est l’erreur du chasseur qui tue son chien. L’autre imagination qui se détourne des choses et ferme les yeux, attentive surtout aux mouvements de la vie et aux faibles impressions qui en résultent, pourrait être appelée la fantaisie. Elle ne se mêle point aux choses, comme fait la réglée ; le réveil est brusque alors et total, au lieu que dans l’imagination réglée le réveil est de chaque instant. Enfin l’imagination passionnée se définirait surtout par les mouvements convulsifs et la vocifération.

Il existe aussi une imagination réglée, mais en un autre sens, et qui participe des trois, c’est l’imagination poétique dont nous traiterons plus tard. Considérez seulement ici comment le poète cherche l’inspiration, tantôt percevant les choses, mais sans géométrie, tantôt somnolant, tantôt gesticulant et vociférant. D’autres poésies, comme architecture et peinture, prennent plus à l’objet, d’autres, comme la danse et la musique prennent toute leur matière dans le corps même du sujet. Mais l’art dépend aussi des passions et surtout des cérémonies ; il n’est donc pas à propos d’y insister maintenant.