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moins pures de tout alliage avec les données de l’expérience que l’idée même de la distance et de la direction. Mais n’entrons pas ici dans ces détails. Il s’agit d’éveiller le lecteur, non de l’accabler, et de lui révéler sa puissance plutôt que sa faiblesse.

M’attachant surtout à décrire la connaissance humaine telle qu’elle est, j’insiste sur la parenté bien frappante qui nous apparaît déjà entre les anticipations de forme géométrique qui nous font voir les choses loin ou près, et les formes de la science proprement dite. Ce ne sont que des remarques ; je n’oublie pas la fin, et je me résigne à n’arriver pas à une doctrine achevée en système ; la police des opinions et des mœurs peut s’exercer utilement avant que les discussions soient closes entre les hommes.

Qu’il n’y ait point de science de la sensation, c’est ce que tous les philosophes d’importance, et notamment Platon et Descartes, ont fortement montré. Nous sommes préparés, il me semble, à comprendre exactement le sens de cette formule connue. Il est clair que l’on n’évalue les intensités qu’en les rapportant à des longueurs. Par exemple, deux sons d’intensité égale sont deux sons qui produiront à la même distance le même déplacement sur une membrane. Deux températures seront comparées par la dilatation d’une même masse de mercure convenablement disposée. Les calories sont comptées d’après un poids de glace changée en eau, et le poids lui-même est mesuré par un équilibre stable d’un levier tournant. Ainsi nous voyons que la science substitue aux données sensibles les éléments géométriques que nous avons décrits ; et tout ce qu’on peut savoir d’une intensité se réduit en somme à des mesures de longueurs. Mais ce n’est là qu’un fait de science, que l’analyse directe doit éclaircir.

La perception est exactement une anticipation de