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CHAPITRE VIII

LES SENS ET L’ENTENDEMENT

Il faut pourtant que j’anticipe un peu. Les recherches sur la perception, assez faciles et fort étendues, ne sont qu’un jeu si l’on ne se porte tout de suite aux difficultés véritables. Et j’y veux insister. Chacun sait que Kant, dans sa Critique, veut considérer l’espace comme une forme de la sensibilité, et non comme une construction de l’entendement. Il est clair que je suis plutôt conduit, par les analyses qui précèdent, à écarter tout à fait cette image transparente et encadrante d’un espace sensible, pour y substituer des rapports de science au sens propre du mot. Dans un traité élémentaire, cette différence n’importe pas beaucoup. Lorsque Kant traite de l’espace comme il fait, il n’oublie jamais que l’espace est une forme, et, pour l’apprenti, c’est cela qui importe. Maintenant, quand il ajoute que l’espace est une forme de la sensibilité, il met l’accent sur ceci, que les propriétés de l’espace ne peuvent être toutes ramenées à ces rapports intelligibles que la science compose, et qui sont la forme de la connaissance claire. Là-dessus, lisez Hamelin, qui traite raisonnablement de la chose.

Ce qui rend la question obscure, c’est que les mathématiciens se plaisent à dire que l’espace à trois dimensions, trois coordonnées fixant toujours un point, est un fait de notre expérience, étranger à la nécessité véritable. Cette question réservée, je ne vois point que l’espace comme je l’ai décrit diffère de ce que l’on appelle proprement la forme dans les opérations de l’esprit. Il se peut aussi que les mathématiciens soient trompés par l’algèbre, ou bien que les trois dimensions soient