Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

par ces légères émotions, nous animons nos perceptions, nous les ravivons et nous préparons nos mouvements en usant, en quelque sorte, la petite crainte qui nous tient toujours quand nous agissons. Il faut redire que la marche, entreprise contre la pesanteur, et la station debout ne nous deviennent habituelles que lorsque nous avons vaincu la peur de tomber, si naturelle. Ainsi la connaissance de la position de notre corps, qui est la base de toutes nos perceptions, n’est jamais passive ; elle résulte de petits changements essayés et d’un continuel travail des muscles. Nous avons le sentiment de notre mouvement par un changement des perspectives ; toutefois, observez qu’un tel changement ne nous dit pas si notre corps se meut, ou si ce sont les autres corps. On sait que, dans un bateau en marche, on croit voir les digues, les bouées se mouvoir, et cette illusion bien connue se produit surtout sur l’eau parce qu’alors le mouvement de la barque ne s’accompagne d’aucun sentiment d’effort, si ce n’est pour le rameur qui, lui, n’a pas l’illusion que je disais parce qu’il sent son propre effort pour s’éloigner et se rapprocher du rocher ou du môle. C’est quand il court sur son erre que l’illusion est vive. On voit par de tels exemples que le sentiment de l’effort est partout à considérer dans la perception. On en trouve des exemples très précis dans l’optique physiologique d’Helmholtz et l’étude des illusions sur le mouvement, lesquelles dépendent toujours du sentiment que nous avons de nos mouvements propres. Soyez seulement en mesure d’analyser l’effort, car le détail serait sans fin.