Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.

entourent, et voilà l’effort, si amplement considéré par Maine de Biran, homme étranger à la philosophie et qui ne s’est pas résigné à voir les choses sur un plan.

Ce qu’il faut savoir là-dessus, c’est analyser le sentiment de l’effort quand je presse ma main contre une surface. Il faut distinguer ici la pression sur la peau ; remarquable en ceci qu’elle peut changer par un imperceptible mouvement des muscles qui se tendent ou renoncent. On a écrit des pages sur les sensations musculaires qui sont forts complexes. Allongez lentement votre bras, faites-vous aveugle et observez ce qui est senti dans les muscles. Vous trouverez peu. Chose digne de remarque la plupart de ces sensations sont dues à la pression des vêtements ; ainsi, si vous pliez le bras, le pli de l’étoffe fait sentir une pression contre le biceps.

Telles sont les très riches données sur lesquelles repose la contemplation de l’univers ; mélange de sensations et d’émotions facile à analyser dans le vertige, ; je regarde l’abîme et je me sens attiré par ce creux. Ce sentiment est fort vif et très touchant. Il consiste en un grand nombre de sensations musculaires (c’est-à-dire, pour éviter des discussions sans fin), qui nous signalent une contraction ou un relâchement. Nous commençons à tomber et à nous retenir ; les puissants muscles abdominaux nous tirent en arrière et se font sentir au creux de l’estomac ; par contagion les muscles respiratoires sont gênés et en alerte. C’est un bel exemple de peur. Ce qu’il est à propos de comprendre c’est que ces efforts sur nous-même font le relief et le creux de nos perceptions sans aucun mouvement de nous, simplement par l’essai ou la préparation de certains mouvements. Pour rendre ces choses plus sensibles, on peut remarquer ce qui arrive dans les vues stéréoscopiques très grossies, par exemple des brins d’herbe, un caillou ; le relief se produit tout d’un coup et se traduit par un mouvement