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rience philosophique qui soit plus propre que celle-là à orienter pour toujours la réflexion dans les vrais chemins. Disons, pour résumer, que nous percevons les choses dans l’espace, mais que l’espace n’est pas un objet des sens, quoique les objets des sens ne soient ordonnés, distingués et perçus que par l’espace. Disons que l’espace est continu, c’est-à-dire indivisible, qu’il est par lui-même sans grandeur ni forme, quoiqu’il soit le père des grandeurs et des formes, et enfin qu’il n’existe nullement à la manière d’un caillou. Par où il apparaîtra déjà que des questions comme celles-ci, l’espace est-il fini ou infini, n’ont aucun sens. Mais il y aura lieu de revenir plus d’une fois là-dessus. Dans ce passage difficile consultez vos forces. Vous savez un peu maintenant ce que c’est que philosopher ; si ce genre de recherche ne vous donne pas de joie, c’est un signe des dieux. Laissez ce livre.

CHAPITRE VII

LE SENTIMENT DE L’EFFORT

On a compris que la perception n’est vivante que par le mouvement. Le loin, c’est où je puis aller. Le relief c’est où je puis me heurter. À l’angle il faudra tourner ; tel est le texte de nos perceptions ; des positions et des chemins. Mais il y a de l’immobile dans la perception, cette hésitation devant le mouvement et devant la forme n’est pas seulement en discours (comme lorsque Ulysse nageant se dresse et regarde les rochers). Nous vivons dans le sentiment des solides qui nous