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distance en la parcourant, je la supprime ; en un sens, j’en aurai bien alors l’expérience quoique toujours par représentation ; mais telle que je la vois maintenant, telle que je crois la sentir maintenant, telle que je la pense maintenant, je la connais, j’en ai toute l’expérience possible. C’est qu’elle est de moi, non des choses ; je la pose, je la trace, je la détermine. Vraie ou fausse elle est toujours distance, rapport indivisible, non point parcourue en fait, ses parties étant ajoutées les unes aux autres, mais posée toute, et ensuite divisée et parcourue, et donnant d’avance un sens à la division et au parcours.

Une direction offre plus clairement encore les mêmes caractères, car elle ordonne les choses par rapport aux rotations de mon corps, mais elle n’est pourtant pas une chose ; elle détermine ; elle est de forme, et définie ou posée, non pas reçue. Tous les paradoxes sur l’espace sont ici ramassés, et toutes les difficultés sur lesquelles on passe souvent trop vite, comme si elles étaient des inventions d’auteur. Distance et direction, ce sont les deux armes du géomètre ; et nous ne serons pas surpris qu’il les connaisse si bien, non pas sans le secours d’aucune chose, mais sur des choses arbitrairement prises, blanc sur noir, points, lignes et angles. Mais n’anticipons pas trop.

J’ai choisi, parmi les distances, celle qu’on nomme la profondeur parce que les caractères de l’espace, qui n’est pas, mais qui est posé, et qui détermine l’expérience, y apparaissent plus aisément. Considérez maintenant les autres distances qui sont comme étalées devant vos yeux, ou ces distances invisibles, distances d’aveugle, qui déterminent un effort à faire, vous reconnaîtrez que ces distances sont des distances aussi, c’est-à-dire des rapports indivisibles, de même espèce que la profondeur. Et n’allez pas prendre non plus