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est belle sur les passions, les passions étant toujours assez présentes par les petits changements qui restent dans le son, ou que l’art y met de nouveau, mais avec mesure, et en les réglant toujours. On voit d’après cela comment le chant imite la voix, substituant à des passages par degrés insensibles une suite de sons distincts et invariables. Maintenant, comme on s’écoute chanter, et qu’on se plaît à rendre un son puissant avec le moins d’effort, comme aussi ceux qui chantent ensemble s’écoutent, et se plaisent à cette puissance disciplinée, tous recherchent les sons qui se renforcent ; et l’on sait assez que certains rapports entre les fréquences des vibrations aériennes assurent, si l’on peut dire, un meilleur rendement que d’autres. Lisez donc Helmholtz là-dessus, car cela concerne le physicien.

Retenons surtout ce qui concerne la cérémonie publique ou privée, ou même solitaire. Certainement la musique veut émouvoir, et chacun le sait bien. Mais il s’y mêle toujours une curiosité d’intelligence qui détourne aussitôt l’attention, plus ou moins, selon que le musicien se plaît davantage aux surprises, aux imitations, aux variations, enfin à tout ce qui nous porte à reconnaître, et qui fait de la musique un objet qui occupe jusqu’à l’extase. Mais ce plaisir est peu de chose en comparaison de cette évocation et guérison sans cesse, qui nous fait sentir d’instant en instant le bienfait du mouvement réglé et de la cérémonie. Il semble que la magicienne ne rappelle les émotions que pour les apaiser aussitôt. Le musicien comme le masseur, ne fait sentir la douleur que pour la guérir ; et comme lui, changeant ses touches, il parcourt le système entier des émotions antagonistes, et nous prouvant qu’elles sont toutes disciplinables, il nous console aussi en espérance. Mais que dire de l’improvisation, où le musicien règle pour lui-même cet art d’être ému