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sons d’esprit sont des miracles, pour ceux qui n’en comprennent pas les causes. Ainsi la pratique conduit à croire ; et, à ceux qui ont essayé sans succès, j’ose dire qu’ils ont mal essayé, s’appliquant toujours à croire au lieu de pratiquer tout simplement. On saisit ici le sens de l’humilité chrétienne, dont la vérité est en ceci, que nos drames intérieurs ne sont que du mécanisme sans pensée, comme les mouvements des bêtes. Un confesseur disait à quelque pénitent à demi instruit qui s’accusait de n’avoir plus la foi : « Qu’en savez-vous ? » Je ne sais si j’ai imaginé cette réponse ou si on me l’a contée. Un gros chanoine et fort savant, à qui je la rapportais, eut l’air de trouver que j’en savais trop. Faites attention que la querelle des jésuites et des jansénistes peut être assez bien comprise par là ; car les jansénistes voulaient penser.

Il me semble aussi que le dogme, dont on se moque trop vite, est plutôt un constant effort contre les mystiques qui viendraient par leurs rêveries libres à changer l’objet des passions plutôt qu’à les apaiser. Dans toutes les expériences dont la nature humaine est le sujet, les effets sont si étonnants et si loin des causes que la religion naturelle, si elle n’est plus la plate philosophie d’État, ne peut manquer de conduire à une espèce de délire fétichiste ; car les dieux sont tout près de nous ; on les voit, on les entend, on les touche. Chacun connaît la folie des spirites, mais on imagine à peine jusqu’où elle pourrait aller si les assemblées étaient plus nombreuses ; et je reconnais une religion sans docteurs dans cet enthousiasme sans règle pour la justice, pour le droit et pour la patrie ; cette religion, la plus jeune de toutes, manque trop de cérémonies et de théologiens. Contre tous ces excès, l’église théologienne exerce une pression modératrice. Les dieux des anciens étaient sentis aussi dans l’amour, dans la colère, dans le sommeil,