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présentent deux images de chaque chose ; il suffit pourtant de fixer les yeux sur un objet assez rapproché comme un crayon, pour que les images des objets éloignés se dédoublent aussitôt ; mais l’entendement naïf nie ces apparences d’après ce raisonnement assez fort : « Cela n’est pas, je ne puis donc pas le voir. » Les peintres au contraire, sont conduits, par leur métier, à ne plus faire attention à la vérité des choses, mais seulement à l’apparence comme telle, qu’ils s’efforcent de reproduire.

Les choses en mouvement instruisent mieux le philosophe. Ici les apparences sont plus fortes, et le vrai de la chose est affirmé seulement sans qu’on puisse arriver à le voir. Il n’est pas de voyageur emporté à grande vitesse qui puisse s’empêcher de voir ce qu’il sait pourtant n’être pas, par exemple les arbres et les poteaux courir et tout le paysage tourner comme une roue qui aurait son axe vers l’horizon. Le plus grand astronome voit les étoiles se déplacer dans le ciel, quoiqu’il sache bien que c’est la terre en réalité qui tourne sur l’axe des pôles. Il est donc assez clair, dès que l’on pense à ces choses, qu’il faut apprendre, par observation et raisonnement, à reconstituer le vrai des choses d’après les apparences, et que c’est ici la main qui est l’institutrice de l’œil. Que l’oreille doive aussi s’instruire, et que nous apprenions peu à peu à évaluer, d’après le son, la direction et la distance de l’objet sonore, c’est-à-dire les mouvements que nous aurions à faire pour le voir et le toucher, c’est ce qui est encore plus évident ; un chasseur, un artilleur continuent cette éducation par des observations classées et des expériences méthodiques ; on peut juger d’après cela du travail d’un enfant qui s’exerce, non sans méprises, à saisir ce qu’il voit et à regarder ce qu’il entend.

Le plus difficile est sans doute d’apercevoir que le