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ses articulations, ses organes. Tout ce qui est anatomie ou physiologie est bon ; on n’en saura jamais trop. Les documents abondent et il n’est pas si nécessaire de choisir, pourvu que de temps en temps on lise la plume à la main le meilleur traité de physiologie de façon que les détails s’ordonnent par rapport à l’indivisible forme humaine. Toutefois, s’il faut conseiller, je conseille de s’armer de défiance à l’égard de l’esprit médical, et de la divination, qui vont souvent ensemble.

Les médecins intéressent par une ample expérience, et qui ne perd jamais le contact. Toutefois, il est impossible qu’on ne remarque pas, dans le jugement médical, une erreur systématique qui résulte du métier. Les malades ne sont pas vrais ; un homme malade est un homme qui ne s’arrange plus de son milieu physique, et qui ne gouverne plus sa propre machine ; disons qu’il se sent vaincu ou tout au moins dominé, et diminué par les actions extérieures. Un homme, en une telle situation, et pis encore, occupé de l’idée d’une telle situation, ne montre plus cette réserve, cette ressource, ces puissances qui font guerre, sauvetage, défrichement, construction, invention selon le cas. Et sans doute le génie propre au médecin est de réveiller et d’orienter cette partie de l’homme qui peut sauver le reste ; mais il est trop clair qu’il n’y réussit pas toujours. Ainsi il est lui-même attaqué dans le fort de son jugement par les coups redoublés de l’expérience. Et cela est encore plus évident de ces médecins qui soignent les faibles d’esprit ; car, de toutes les formes de l’esclavage ou de la dépendance, celle qui dépend de l’opinion est de loin la plus redoutable. Des hommes défaits et vaincus ne sont plus des hommes ; ils ne sont plus eux-mêmes. Spinoza conseille, pour les entretiens, de parler sobrement de l’esclavage, de la faiblesse et de la tristesse humaine, et au contraire amplement de la puissance