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en occupant l’esprit de nouvelles craintes et de nouveaux espoirs. C’est vouloir être aimé par menace. Les vrais penseurs ont prié plutôt par silence, sommeil dans les épreuves, ou bien gaieté et enjouement comme sait si bien faire Socrate aux instants où il a besoin de lui-même. Je crois que les grands spectacles de la nature, qui dépassent nos forces et tous nos projets, ainsi que les dangers certains en présence desquels on ne peut qu’attendre, sont favorables à la vraie réflexion aussi. Tel est le sens des épreuves. Ainsi que ta solitude et ton monastère soient au milieu des hommes.

CHAPITRE IX

DE LA GRANDEUR D’ÂME

Les modernes n’ont guère traité de cette vertu, peut-être parce qu’ils n’ont pas bien considéré en même temps la nécessité des passions et la liberté de l’esprit. Descartes veut appeler générosité le sentiment que nous avons de notre libre arbitre ; et c’est très bien nommé. Mais la grandeur d’âme n’est pas seulement dans la possession de quelque chose de grand et qui, étant juge de tout, naturellement surmonte tout ; elle suppose encore la mesure exacte de la faiblesse humaine, à l’égard de qui elle n’est ni indulgente ni sévère, mais juste dans le sens le plus profond. Tout le monde sait bien qu’il faut pardonner beaucoup ; et ceux qui l’oublient par passion et qui tiennent un compte de toutes les paroles, de tous les oublis et de toutes les intentions sont bien malheureux et bien méchants. Mais encore