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de les rompre ; et le plaisir attire par le sacrilège. Plutôt que d’adorer ces coutumes, il vaudrait mieux ne pas les juger du tout. Il y a ainsi une autre pureté, qui est belle comme le sommeil.

CHAPITRE III

DE LA SINCÉRITÉ

Lorsque l’on a prouvé, par raisons abstraites ou par sentiment, qu’il n’est jamais permis de mentir, il se trouve que l’on a mal servi la cause de la vertu ; car il est connu qu’une loi inapplicable affaiblit un peu l’autorité des autres lois. Peut-être vaudrait-il mieux régler les discours d’après la loi supérieure de la justice ; mais il y a aussi un mal à soi-même et une déchéance dans le mensonge ; il y a donc une vertu de sincérité, qui toutefois n’est pas située au niveau des discours ordinaires. De là vient que tant de mensonges sont excusés et quelques-uns même loués et certainement honorables.

La loi punit la médisance, et les mœurs les plus sévères s’accordent ici avec la loi. Cela fait voir que la pleine franchise, à tout propos, à l’égard de tout et de tous, n’est pas louable. Le témoin doit la vérité au juge, mais non à n’importe qui. Personne n’approuvera que l’on rappelle une ancienne faute, maintenant expiée et réparée. Il est donc bon souvent de se taire ; et se taire, à la rigueur, c’est déjà mentir. Mais la sincérité n’est point à ce niveau-là. Qu’on n’essaie même pas de dire que l’on doit toute sa pensée à son ami. Quelle duplicité et lâcheté souvent dans cette morale qui veut