Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ensemble, et le courage en avant, avec le pardon. Car, comme je l’ai expliqué, on ne hait que par colère, qui est peur au fond ; je hais celui qui m’a fait peur ; mais celui qui m’aide à être libre, lucide et invulnérable, en me montrant l’image du héros résolu, celui-là je l’aime déjà.

Une des causes de la guerre est l’impatience qu’on a de la craindre. Le pressentiment aussi que cet état ne peut durer, et que le plus beau courage est au fond de cette crainte-là ; la guerre est comme un rendez-vous que l’on se donne ; c’est pourquoi ils sont si pressés d’y aller. Mais pourquoi ? Par cet esclavage de tous les jours, qui vient de ce que nous ne savons pas séparer le respect de l’obéissance. Quoi ? Tant d’hommes pour mourir, et si peu pour braver les pouvoirs ? Il ne manque pourtant pas d’occasions d’oser. Oser estimer les valeurs véritables, le policier, si haut qu’il soit, pour ce qu’il est, le menteur pour ce qu’il est, le flatteur pour ce qu’il est, et tous selon l’esprit, pardonnant même tout par la vue claire, ce qui est plus dangereux encore. Mais tous ces guerriers vivent à genoux ; ils tremblent pour un roi, pour un inspecteur, pour un préfet. Ce n’est qu’à la guerre qu’ils trouvent l’occasion de vivre une fois ou deux avant de mourir.

CHAPITRE II

DE LA TEMPÉRANCE

On juge mal de l’intempérance ; on la craint trop par ses effets les plus visibles, mais on ne saisit point