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aucune différence entre le mouvement réel perçu et le mouvement imaginaire que l’on prête aux arbres ou à la lune, aucune différence, entendez dans la perception que l’on a. Secondement l’on fera attention que ces mouvements imaginaires sont perçus seulement par relation, ce qui fera voir ici encore l’entendement à l’œuvre, et pensant un mouvement afin d’expliquer des apparences, ce qui est déjà méthode de science à parler strictement, quoique sans langage. Et surtout l’on comprendra peut-être que les points de comparaison, les positions successives du mobile, les distances variables, tout cela est retenu et ramassé en un tout qui est le mouvement perçu. Ainsi il s’en faut bien que notre perception du mouvement consiste à le suivre seulement, en changeant toujours de lieu comme fait le mobile lui-même. Le subtil Zénon disait bien que le mobile n’est jamais en mouvement puisqu’à chaque instant il est exactement où il est. Je reviendrai sur les autres difficultés du même genre ; mais nous pouvons comprendre déjà que le mouvement est un tout indivisible, et que nous le percevons et pensons tout entier, toutes les positions du mobile étant saisies en même temps, quoique le mobile ne les occupe que successivement. Ainsi ce n’est point le fait du mouvement que nous saisissons dans la perception, mais réellement son idée immobile, et le mouvement par cette idée. On pardonnera cette excursion trop rapide dans le domaine entier de la connaissance ; ces analyses ne se divisent point. Remarquez encore que, de même que nous comptons des unités en les parcourant et laissant aller, mais en les retenant aussi toutes, ainsi nous percevons le mouvement en le laissant aller, oui, mais le long d’un chemin anticipé et conservé, tracé entre des points fixes, et pour tout dire immobile. Quand on a déjà un peu médité là-dessus, rien n’est plus utile à considérer