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tique, comme chacun peut l’essayer, comme aussi de ne point se frotter l’œil quand un moucheron s’y met.

Dans les maladies plus graves et plus lentes, il y a une surveillance de soi et une attente des signes qui nuit par une volonté de guérir mal gouvernée. L’anxiété et même la simple attention à soi ne vont point sans un resserrement de tous les muscles, qui ralentit la nutrition et l’élimination. On se retient de vivre, par la peur de mourir. Il y a tout un système musculaire sur lequel la volonté n’a point d’action directe, c’est celui qui règle les mouvements de digestion ; mais il est impossible que ces muscles ne prennent point de contracture ou de spasme par la contagion des autres. Ajoutons que le sang, outre qu’il se trouve moins baigné d’oxygène, s’encrasse encore par tout ce travail inutile ; l’inquiétude contenue ne remue point le corps, mais elle fatigue autant qu’un violent effort. Ces effets agissent à leur tour comme des signes ; les effets de la crainte augmentent la crainte ; la pensée étrangle la vie.

L’insomnie est une étrange maladie qui souvent résulte seulement d’une condamnation de soi. La veille n’a rien de pénible par elle-même, si l’on ne pense pas à soi ; mais souvent le passionné attend le sommeil comme un repos ; et, même sans pensées pénibles, il arrive que l’on s’étonne de ne pas dormir, et que l’on prend de l’inquiétude ; d’où une contracture d’impatience, et bientôt des mouvements qui éloignent le sommeil ; car s’inquiéter c’est s’éveiller, et vouloir c’est s’éveiller. Le souvenir de cette lutte pénible occupe même les heures du jour, et la nuit est mauvaise par prédiction, que dis-je, par prédilection, car l’idole fataliste est adorée. J’ai connu des malades qui s’irritaient quand on leur prouvait qu’ils avaient dormi. Le remède est de comprendre d’abord l’insomnie par ces causes, et