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duisent par des mouvements corporels, et même nous ne le saurons jamais ; nous savons seulement que nous ne formons jamais d’idées sans des mouvements corporels. En considérant seulement dans cette liaison ce qui est le plus connu, à savoir que par jugement nous faisons marcher nos muscles on explique déjà la plus grande partie des effets de l’imagination, et peut-être tous. Nous pouvons nous tuer par couteau ou pendaison, ou en nous jetant au précipice ; les actions retenues n’ont guère moins de puissance, quoiqu’elles agissent plus lentement.

Un malade peut s’aider à guérir par massage ou friction ; il peut se nuire par mouvements d’impatience ou de fureur ; ce sont là réellement des effets de l’imagination à proprement parler, qui n’a de réel, dans ses fantaisies, que les mouvements du corps qui les font naître. Mais d’autres mouvements que ceux-là, bien que moins sensibles aux yeux, agissent tout autant sur la santé. Les mouvements de la respiration sont ralentis, gênés et même suspendus par toute attente et préparation. Cela tient à notre mécanique, qui exige, pour tout effort, que le thorax soit bien rempli d’air, afin d’offrir une attache plus solide à tous nos muscles. Au reste cela se fait naturellement, les muscles s’éveillant les uns les autres par voisinage et communications nerveuses ; mais un faux jugement y ajoute quelquefois, comme lorsque nous montons une côte assez longue ou un grand escalier ; nous prenons alors une espèce de résolution qui paralyse notre souffle ; et le cœur aussi réagit par mécanisme. Cet exemple fait voir qu’une attente craintive ralentit réellement la vie. Puisqu’une crainte nous oppresse, on voit que la crainte d’étouffer ajoute au mal. Quand on s’étrangle en buvant, il se produit comme une terreur en tumulte dans tout le corps, que l’on peut arriver à dompter par gymnas-