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ces distances à nous, qui font le relief, ne sont pas comme distances dans les données, mais sont plutôt pensées comme distances, ce qui rejette chaque chose à sa place selon le mot fameux d’Anaxagore : « Tout était ensemble ; mais vint l’entendement qui mit tout en ordre. »

Le lecteur aperçoit peut-être déjà que la connaissance par les sens a quelque chose d’une science ; il aura à comprendre plus tard que toute science consiste en une perception plus exacte des choses. L’exemple le plus étonnant sera fourni par l’astronomie, qui n’est presque que perception des choses du ciel en leur juste place. Cette science est celle qui convient le mieux pour donner au savoir humain ses véritables règles, comme l’exemple de l’éclipse le montrera abondamment ; car il s’agit alors de percevoir exactement le soleil et la lune dans leur alignement naturel, ce qui suppose la connaissance de leurs mouvements relatifs. Telle est la part de l’entendement dans une connaissance qui fut si longtemps confuse, et d’ailleurs effrayante. Le seul effort qui conduit à attendre la lune sur le passage du soleil est déjà beaucoup pour l’apprenti. Et quel progrès pour l’humanité ! Thalès annonçait tranquillement l’éclipse qui devait donner la panique à des armées. Tout le miraculeux est enlevé si l’on pense comme il faut à la lune nouvelle, qui flotte naturellement sur la route du soleil. Sans quoi l’apparition de la lune a de quoi terrifier. Souvenons-nous de ne traiter jamais des sciences que sur des exemples de ce genre-là. Et, puisque nous en sommes à Thalès, n’oublions pas son fameux axiome : « À l’heure où l’ombre de l’homme est égale à l’homme, l’ombre de la pyramide est égale à la pyramide. » Lagneau disait : « La pensée est la mesureuse. » C’est un mot à retenir. Allons toujours tout droit dans ce développement,