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manœuvres de coquetterie, presque toujours innocentes, font des attentes à chaque instant, surtout dans la vie de société où la politesse exige beaucoup, et l’éducation qu’on donne aux filles, et non sans raison, exige encore plus. Je ne sais pas trop comment aiment les femmes, et le dise qui pourra ; j’ose à peine dire que l’instinct de chair a des mouvements plus imprévus que chez l’homme et qui s’irradient mieux ; il y aurait attente là aussi, et mêlée de peur ; ainsi elles sont portées à dissimuler davantage, parce qu’elles n’éprouvent pas toujours à propos. J’ai pu remarquer que les hommes qui ont un peu de cette pudeur naturelle, et quelque crainte de l’amour, sont aussi plus aimés. Les signes alors se font attendre, et étonnent comme des éclairs ; au lieu que la coquetterie vulgaire et étudiée, qui jette les signes comme un bavardage, décourage les passions. Le malheur veut qu’une femme attachée à ses devoirs et qui lutte contre elle-même, soit la plus dangereuse des coquettes par cela seul. Ainsi il n’y a que les drames bien noirs qui se nouent. Le tragique n’est pas tant dans les massacres qui peuvent en résulter, que dans ce jugement fataliste, qui prévoit si bien une longue suite de malheurs et qui les annonce et qui s’y jette. Œdipe, le devin et les dieux, ensemble dans le même homme, voilà un assez beau masque tragique.

CHAPITRE IV

DE L’AMOUR DE SOI

On dit qu’il y a des hommes qui sont assez contents d’eux-mêmes, mais je n’en ai point vu. Il n’y a pas que