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dans les ornements et dans les beaux meubles, dont les parures ressemblent à la musique, en ce qu’elles montrent la nécessité et la liberté ensemble.

D’après cela, ce qui serait le plus éloigné du génie, ce serait la mesure et la définition de soi ; il y a toujours de la prétention dans les œuvres du caractère. Car chacun est tout neuf, s’il ose ; mais c’est la simplicité qui ose ; et ainsi le jugement nu se trouve en face de l’objet nu ; l’objet alors emplit la conscience ; et le sujet ne s’y cherche plus. Il fallait le prévoir, par une exacte analyse, au lieu de chercher dans le génie quelque chose toujours de l’inspiration des sibylles, un mécanisme enfin, encore un objet. Et il ne se peut pas que l’on pense à l’objet comme il faut et en même temps à soi. L’esclave de plume se connaît trop par l’œuvre qu’il veut faire ; mais l’artiste ne se connaît que par l’œuvre faite ; heureux s’il ne se définit point par là.

CHAPITRE XI

DU DOUTE

Le fou ne doute jamais, ni dans son action ni dans sa pensée. Comme c’est folie de jeter tout le corps avec le poing, c’est folie aussi de trop croire à des ruses, à des haines, à des peurs, à ses propres actions et même à ses propres défauts. Le doute serait donc la couronne du sage. Descartes l’a assez dit, si seulement l’on comprend qu’après une idée il faut en former une autre et que le chemin est le même vers toutes. Mais on veut pourtant que Descartes n’ait douté qu’une fois. Le douteur a