Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

volonté suivie, par travail gymnastique, qui rend le corps obéissant, toujours en dénouant l’effort. Dans l’action même, l’attention se détache tout à fait du corps ; le pianiste pense la musique, et les doigts suivent, aussi vifs que la pensée, comme on dit. Si l’on considérait mieux l’homme libre, on se délivrerait tout à fait de cette idée que l’âme agissante est cachée dans le corps comme le mécanicien dans la machine. On dirait mieux en disant que la pensée va en éclaireur et que le corps marche après elle. Mais ce sont des images mécaniques, l’esprit est à la fois dehors et dedans. Nullement objet ou chose ; nullement poussé ni poussant.

Je ne puis vous montrer le libre arbitre comme on fait voir un ressort caché. L’esprit ne se saisit pas lui-même ; il ne retrouve ses idées que dans les objets. Ne comptons pas le libre arbitre au nombre des choses qui existent. Il est trop clair qu’on peut le perdre ; il suffit qu’on y consente. Et nul ne peut le délivrer que lui-même. C’est donc assez d’avoir levé les obstacles d’imagination ; la réflexion ne peut faire plus. S’il y avait quelque preuve du libre arbitre, je vous déterminerais donc par là. C’est ce que Renouvier a dit en d’autres termes ; le principal c’est qu’il faut se faire libre. Vouloir enfin. Et ce n’est pas une remarque sans importance, puisque tant d’hommes s’irritent dès que je les veux libres. Mais ne craignez pas d’être libres malgré vous ; je n’y puis rien. Ici est la foi dans sa pureté ; ici apparaissent les preuves théologiques, si longtemps détournées de leur objet propre, car c’est la Foi même qui est Dieu.

Il faut croire au bien, car il n’est pas ; par exemple à la justice, car elle n’est pas. Non pas croire qu’elle est aimée et désirée, car cela n’y ajoute rien ; mais croire que je la ferai. Un marxiste croit qu’elle se fera sans nous et par les forces. Mais qu’ils suivent cette