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fait nous ne pourrions jamais trouver un esclavage sans limite ; nous n’y trouvons même pas un esclavage constant. L’homme pâtit et agit, imite et invente. Je le prends comme je le trouve. Et je l’aime ainsi, au travail, sans désespoir vrai, et traînant ce cadavre, comme dit l’autre.

NOTE

Les rapports de la pensée et de l’action constituent une des plus importantes parties de la philosophie. Je les résume ici en quelques mots. Ce qu’il faut saisir c’est que nos pensées volontaires ne font que continuer quelque action ou quelque geste. C’est par cette remarque que le libre arbitre est le mieux compris. De quelque question qu’il s’agisse c’est toujours par le langage que nous imprimons une direction à nos pensées. Penser c’est toujours réfléchir sur un signe et le continuer ou l’arrêter. Il est assez clair que par la perception nous ne nous représentons jamais, sous forme de distance, de relief ou d’espace, que des actions possibles et toujours au moins esquissées. La recherche scientifique procède toujours par action, par essais. La méthode expérimentale et le calcul même ne sont que des actions continuelles sur lesquelles nous exerçons notre critique. Autrement notre pensée ne nous offre point de prises pour l’arrêter ou la changer ; nous parlons toutes nos pensées qui ne sont réellement qu’un discours à nous-même, dont on trouve le modèle dans les Méditations de Descartes (Le Je Pense est une parole). Il faut se garder de rester en observateur au milieu de pensées sans aucune action. L’écriture est pour la réflexion un objet de choix.