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intimes sont des moments de la philosophie. Et le doute en est une des régions les plus pures. Après cela lisez l’histoire de Pyrrhon qui a mérité de donner son nom aux pyrrhoniens. Pyrrhonisme est mieux dit que scepticisme. Ainsi vous formez votre vocabulaire.

Exercice proposé : distinguez le sens de ces deux mots, pyrrhonisme et scepticisme. Évidemment il y a à dire que l’un des deux est plus profond et plus humain. Cherchez lequel ? Il y a à dire des deux côtés. Pour moi, je pense que Pyrrhon avait plus de portée, parce qu’il décrétait d’abord que nul ne peut rien savoir de rien, ce qui est nier mais affirmer l’esprit et respecter l’esprit. Le sceptique doute au petit bonheur et en détail, pour s’amuser, etc. Exercez-vous à distinguer parmi vos amis, les sceptiques et les pyrrhoniens.

CHAPITRE II

DES ILLUSIONS DES SENS

La connaissance par les sens est l’occasion d’erreurs sur la distance, sur la grandeur, sur la forme des objets. Souvent notre jugement est explicite et nous le redressons d’après l’expérience ; notre entendement est alors bien éveillé. Les illusions diffèrent des erreurs en ce que le jugement y est implicite, au point que c’est l’apparence même des choses qui nous semble changée. Par exemple, si nous voyons quelque panorama habilement peint, nous croyons saisir comme des objets la distance et la profondeur ; la toile se creuse devant nos regards. Aussi voulons-nous toujours expliquer les illusions par quelque infirmité de nos sens, notre œil étant fait ainsi ou notre oreille. C’est faire un grand