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donc est-il ? Est-ce lui que l’âme retrouve, et sort-elle d’elle-même ? Au vrai, c’est l’animal agissant que vous décrivez ici et il est vrai qu’une action des choses y entre et qu’une réaction en sort. Mais par sens, cerveau, muscles ; vous ne ferez pas tenir une âme là-dedans. J’entends bien qu’il vous plaît de voir un petit moment par ses yeux, et puis vous revenez à votre poste d’observateur. Mais ce jeu n’est pas sérieux ; les âmes n’émigrent pas ainsi d’un corps à l’autre. De quelque façon que mon esprit soit attaché à mon corps, il l’est bien.

C’est cette attache qu’il faut considérer, autant qu’on le peut. Elle est sensible par ce point de vue d’où, à chaque instant, je pense le monde, et qui ne change que par des mouvements de mon corps. Si je veux voir ce clocher caché par un arbre, il faut que mon corps change de lieu. Et la douleur, encore, dès qu’il est lésé, me fait sentir qu’il est mien. Enfin il est mien aussi par l’obéissance. Le mouvement que je veux faire, aussitôt mon corps le fait ou l’essaie. Voilà tout ce que je sais de l’union de l’âme et du corps, si je comprends, sous l’idée de douleur, l’attention détournée, l’abattement, la stupeur. Je connais mon esclavage ; mais ne comptez pas que j’y ajoute comme à plaisir, et contre le bon sens.

Il est clair que mon esprit n’est pas un des rouages de mon corps, ni une partie de l’univers. Il est le tout de tout. Je ne fais pas ici de conjecture. Je décris simplement. Ma première pensée est une perception de l’univers, à laquelle rien ne manque, dans laquelle rien n’entrera ensuite comme par des portes, mais que j’éclaircirai simplement. Trouver le point d’attache entre cet immense pouvoir de connaître et ce petit objet qui lui impose un centre, des conditions, un point de vue, cela passe notre mécanique et toute mécanique. Notre esclavage est donc de fait, non de théorie. Et dans le