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des causes ne sera certainement pas pendu. Au lieu d’être attiré par un destin propre à lui, il est pris dans une immense machine dont il n’est qu’un rouage. Sa volonté elle-même suit ses actions ; les mêmes causes qui le font agir le font aussi vouloir. Chacun sait qu’une certaine espèce de fous font ce qu’on leur suggère, et qu’ils veulent aussi ce qu’ils font, ce qui fait qu’ils croient faire ce qu’ils veulent. Prouvez que nous ne sommes pas tous ainsi.

Ce qui achève d’engourdir l’esprit, c’est que, par un déterminisme bien éclairci, tout reste en place. Un bon conseil est toujours bon à suivre, que je le suive par nécessité ou non. La délibération n’est pas moins naturelle, soit que je pèse les motifs avant de me décider librement, soit que je cherche à prévoir, par l’examen des motifs, ce que je ferai par nécessité. La décision a le même aspect, soit que je jure de faire, soit que je sois sûr que je ferai. Les promesses aussi. L’action aussi, l’un disant qu’il a fait ce qu’il a voulu, l’autre qu’il a voulu justement ce qu’il ne pouvait pas ne pas faire. Ainsi le déterminisme rend compte des sentiments, des croyances, des hésitations, des résolutions. La sagesse, disait Spinoza, te délivre et te sauve autant, que ce soit par nécessité ou non. Sur quoi disputons-nous donc ?

CHAPITRE VII

DE L’UNION DE L’ÂME ET DU CORPS

Je ne dispute point. Je contemple avec attention, sans aucun respect, ce vaste mécanisme qui ne promet