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d’apprendre, et que l’habitude n’est pas l’instinct, ni le prolongement de l’instinct. L’animal, et l’homme autant qu’il est animal, apprend par contrainte des objets ou par imitation machmale toujours par répétition. De quoi l’on peut rendre compte d’abord par la nutrition des muscles que le mouvement excite et fortifie, encore, si l’on veut, par les traces qui sont laissées dans les nerfs ou dans les centres nerveux, et qui font que les réactions répétées s’inscrivent par des chemins de moindre résistance. Encore est-il à remarquer que les meilleurs signes par lesquels on puisse faire obéir un cheval sont toujours des pressions ou contraintes, qui gênent certains mouvements et en favorisent d’autres. Cette activité machinale ne ressemble jamais à l’intelligence, et j’ai toujours pensé que le dressage des animaux, bien loin de prouver qu’ils comprennent, suppose au contraire une entière stupidité. L’homme apprend tout à fait autrement, non pas par répétition machinale, mais par recommencement, toujours sous la condition d’une attention soutenue, disons autrement, sous la condition que les mouvements exécutés soient voulus et libres, sans que le corps en fasse d’autres. Il est bien vrai que toute contraction musculaire éveille aussitôt les muscles voisins, et souvent même les muscles antagonistes, de façon que nos membres se raidissent, se fatiguent et n’avancent point ; mais je crois que la cause principale de ce désordre du corps est la confusion des idées augmentée encore par la peur de se tromper, si funeste dans toutes les actions. Remarquez que, dans tous les exercices, la victoire est soudaine. Dès que le jugement forme une perception claire et que le corps suit, tout est su. L’attrait des habitudes et leur puissance naturelle viennent de ce bonheur que l’on trouve à faire ce que l’on fait bien, même battre les cartes.